Le monde du travail change. Les relations hiérarchiques, les modes de supervision et les attentes des salariés évoluent. Dans ce contexte, la notion de « management toxique » — caractérisé par un style autoritaire, démotivant, voire destructeur pour le collectif — est de plus en plus mise au jour. Et 2025 marque un tournant : la jurisprudence française tend à reconnaître le management toxique comme une faute grave susceptible d'entrainer un licenciement immédiat.
Le contexte juridique
Trois grands piliers encadrent le sujet :
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L'obligation de sécurité de l'employeur : l'article L.4121-1 du Code du travail oblige l'employeur à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »
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L'obligation individuelle du salarié : selon l'article L.4122-1 du Code du travail, « tout salarié doit prendre soin, selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ou de celles des autres personnes… ».
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La qualification du harcèlement moral : l'article L.1152-1 définit que « aucun salarié ne doit subir des agissements répétés… ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Ces principes posent le cadre : le management n'est plus seulement jugé à l'aune des résultats mais surtout à celui de ses effets humains et psychiques.
La jurisprudence-clé de 2025
La décision emblématique est l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 mai 2025 (n° 23-14.492) : un responsable d'édition a été licencié pour faute grave en raison de son style de management toxique, caractérisé par autoritarisme, rigidité, absence d'empathie, une souffrance mentale généralisée au sein de l'équipe et des alertes du médecin du travail.
Quelques enseignements de cet arrêt :
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Le manager a été sanctionné même si l'employeur n'avait pas entièrement réglé la situation. La Cour a jugé que « le comportement du salarié, persistant malgré l'avertissement, était de nature à compromettre gravement la santé mentale de ses subordonnés ».
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Le manquement de l'employeur (inertie ou “attitude ambiguë”) n'a pas empêché la reconnaissance de la faute grave du salarié. Autrement dit : le manager ne peut se cacher derrière l'organisation.
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Le style de management, même en l'absence de harcèlement moral formel (injures, menaces), peut être jugé fautif s'il provoque une altération de la santé collective. Par exemple, dans un arrêt du 26 février 2025 (n° 22-23.703), la Cour a validé un licenciement pour faute grave d'un manager pour « mode de management maladroit et empreint d'attitude colérique ».
Pourquoi cet arrêt est-il un véritable “choc” pour les entreprises ?
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Le critère de santé psychique collective est monté en puissance
Le fait que la souffrance psychique de plusieurs collaborateurs, en lien avec la supervision, soit reconnue comme critère de licenciement change la donne. Le management n'est plus seulement évalué en fonction de la performance, mais de l'impact humain. -
Responsabilité individuelle du manager
Le manager ne peut plus se contenter de résultats ou de moyens techniques : son mode d'encadrement spécifique est passé au crible. Si ce mode d'encadrement dégrade les conditions de travail, la faute grave est possible. -
Urgence pour l'employeur et les IRP
Les représentants du personnel, les services de santé au travail, les directions RH gagnent un levier juridique supplémentaire : signaler une situation de management toxique ne relève plus seulement de la “culture d'entreprise”, mais d'un risque juridique concret.
Enrichissement par l'actualité 2025
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D'après un article de juin 2025, la jurisprudence place désormais le management toxique comme motif autonome de licenciement, en dehors de la qualification traditionnelle de harcèlement moral.
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Un cabinet d'avocats rappelle que, dans un contexte de télétravail accru et digitalisation des modes de supervision, émergent de nouvelles formes de management pathogènes : « management par culpabilisation, par pression permanente, par absence de reconnaissance ».
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Une revue de droit social note aussi que l'enquête interne, l'audit social et les dispositifs de médiation (recommandés par le Défenseur des droits dès février 2025) deviennent des pièces clés pour la mise en œuvre de l'obligation de sécurité.
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Enfin, on observe que ce type de jurisprudence peut avoir un effet d'entraînement : des organisations de salariés et des syndicats évoquent la nécessité de former davantage les managers et d'intégrer dans le dialogue social la question du style d'encadrement.
Agir face au management toxique : le rôle central des élus et mandatés CFE-CGC
La reconnaissance du management toxique comme faute grave modifie profondément les responsabilités dans l'entreprise.
Les élus et mandatés CFE-CGC sont aujourd'hui des acteurs essentiels de la prévention, de la vigilance et de la transformation managériale.
Leur mission est de défendre la santé des salariés, d'alerter sur les dérives et de promouvoir un modèle de management respectueux, humain et durable.1. Diagnostiquer le climat managérial
Avant d'agir, il faut comprendre. Les élus peuvent :
mettre en place ou actualiser un questionnaire anonyme sur le climat social et managérial ;
identifier les équipes à risque à partir d'indicateurs objectifs : absentéisme, turn-over, burn-out, plaintes récurrentes ;
recueillir les signaux faibles : tensions, perte de motivation, communication rompue, comportements autoritaires.
Ce diagnostic doit être partagé avec les ressources humaines, la médecine du travail et les représentants du personnel pour construire un plan d'action commun.
2. Sensibiliser et former pour prévenir
Les élus et mandatés CFE-CGC peuvent :
organiser des sessions de formation à destination des managers et encadrants : communication bienveillante, reconnaissance, écoute, prévention des risques psychosociaux ;
diffuser des supports pédagogiques (flash juridique, infographie, newsletter) pour vulgariser la jurisprudence récente ;
expliquer aux salariés que le management toxique n'est plus toléré, quelle que soit la position hiérarchique du manager ;
valoriser les pratiques managériales positives : feedback constructif, esprit d'équipe, management participatif.
La prévention passe par la formation continue : un manager formé à la bienveillance devient un levier de performance durable.
3. Détecter, alerter et enquêter
Lorsqu'une situation préoccupante est identifiée, les élus doivent :
activer les leviers d'alerte : droit d'alerte du CSE (article L.2312-59 du Code du travail), saisie de la médecine du travail, signalement à l'employeur ;
demander la mise en place d'un protocole d'enquête interne associant élus, ressources humaines et service santé ;
proposer des médiations ou des aménagements temporaires en cas de conflit persistant ;
protéger les salariés témoins ou victimes contre toute forme de représailles.
L'objectif n'est pas d'accuser, mais de restaurer la sécurité psychologique et la confiance collective au sein de l'entreprise.
4. Encadrer les recours et les sanctions
Lorsqu'un management toxique est établi, il convient de :
prévoir un processus disciplinaire clair et transparent : avertissement, accompagnement, puis sanction graduée si les comportements persistent ;
assurer la traçabilité des faits et des actions (rapports, entretiens, comptes rendus de CSE) ;
rappeler la responsabilité individuelle du manager au titre des articles L.4122-1 et L.1152-1 du Code du travail.
La sanction doit être proportionnée mais réelle : l'impunité alimente la souffrance et décrédibilise la politique de prévention.
5. Suivre et évaluer les actions
Les élus CFE-CGC doivent veiller à :
l'actualisation du Document Unique d'Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) pour y intégrer les risques liés au management toxique ;
l'inclusion des indicateurs de climat social dans la Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales (BDESE) : absentéisme, turn-over, accidents, signalements RPS ;
l'évaluation régulière de l'efficacité des mesures engagées : baisse des plaintes, amélioration du dialogue social, retours positifs des salariés.
Ce suivi régulier permet de transformer les alertes en politiques concrètes de qualité de vie au travail.
6. Porter les valeurs CFE-CGC sur le terrain
Les élus et mandatés incarnent chaque jour les valeurs de la CFE-CGC :
le respect et la dignité de chaque salarié,
la responsabilité managériale et la justice sociale,
le dialogue, la prévention et l'écoute active.
Leur rôle ne se limite pas à défendre : ils inspirent et diffusent une culture d'entreprise où la performance s'allie à la bienveillance et au respect des personnes.
Conclusion
La jurisprudence 2025 marque une vraie rupture : le management toxique n'est plus seulement une question de “climat” ou d'ambiance, mais un risque juridique concret. Le style managérial devient un élément du contrat de travail comme un autre : s'il rend impossible la poursuite de la relation, la faute grave peut être retenue, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Pour vous, dans une fonction de communication & représentation syndicale, c'est l'occasion de mettre cette évolution au cœur du dialogue social, de renforcer les outils de prévention, et de faire de la qualité du management un véritable levier de responsabilité partagée.